Toujours plus vite, plus loin, plus fort : quels impacts sur nous, nos cerveaux et nos entreprises ?

 

Il est devenu trivial d’évoquer l’accélération des rythmes de vie en lien avec les avancées technologiques et un modèle économique de concurrence mondialisée. De nombreux chercheurs en sociologie, neurobiologie et autres psychologues se sont penchés ces derniers mois sur les conséquences de ces tourbillons qui nous emportent au quotidien.

Nicole Aubert décrypte le phénomène lui-même avant d’en lister les conséquences. Selon elle, c’est bien la conjonction de nouvelles technologies de la communication (mails, smartphones, internet) et du capitalisme financier fondé sur une exigence de rentabilité à court terme qui génère trois nouvelles façons de vivre notre temps :

- L’instantanéité permise par les nouvelles technologies de la communication : un mail et un sms arrivent quelques secondes après avoir été envoyés ;

- L’immédiateté découle de cette possibilité d’avoir la réponse dans l’instant ;

- L’urgence qui imprègne le mode de vie et d’action des entreprises : celui qui gagne aujourd’hui la compétition économique n’est plus le meilleur mais le plus rapide.

Le sociologue allemand Hartmut Rosa constate donc, en écho, une triple accélération : l’accélération technique, y compris dans le domaine des transports et de la production, l’accélération du changement social, notamment la famille et le travail, et l’accélération du rythme de vie impliquant de devoir faire plus de choses en moins de temps.

Le sociologue américain Richard Senett souligne dès 2006 l’impossibilité de vivre des valeurs de long terme (fidélité, engagement, loyauté) en raison d’exigences de flexibilité généralisée rendant difficiles des relations sociales durables, au sein d’entreprises disloquées et restructurées. L’entreprise est ainsi devenue une « institution à grande vitesse » privilégiant une culture de la réactivité extrême et de l’adaptabilité permanente, au détriment de la compétence longuement accumulée, de la culture du métier et de la loyauté professionnelle. L’angoisse du temps pousse à effleurer plutôt s’attarder, d’où le sentiment d’être acculé à un travail médiocre et empêché de cultiver ses talents.

Notre société génère ainsi la nécessité d’un dépassement permanent de soi pour faire face à l’obligation d’hyperperformance dans tous les domaines. Ajouté à l’exacerbation de l’urgent au détriment de l’important, l’individu est aujourd’hui en proie à de nouvelles pathologies de l’accélération dénommées « accélérite » par le psychiatre Christophe André. Véritables maladies inflammatoires de l’esprit qui subit en permanence la pression du temps, ces surchauffes prolongées conduisent à de gigantesques court-circuits ou « burn outs » ainsi qu’à la « corrosion du caractère » évoquée par R. Senett.

Sans aller jusque-là, Jean-Claude DEHER, chercheur au centre de neurosciences cognitives du CNRS, a démontré que le stress diminue la capacité du cerveau à patienter. Savoir attendre suppose de moduler son  « impulsivité cognitive » en mobilisant certaines aires du réseau fronto-pariétal. John Hinson et ses collègues de l’Université de Washington ont mis en évidence qu’une mémoire de travail disponible est nécessaire à un contrôle cognitif efficace. La mémoire de travail est celle qui nous permet de conserver notre objectif à l’esprit pendant plusieurs secondes avant de l’atteindre et de passer à l’étape suivante. Or, quand nous prenons l’habitude d’accéder immédiatement à une information ou un service, nous gardons moins longtemps à l’esprit un but ou une donnée intermédiaire, réduisant ainsi notre capacité d’attente et augmentant notre besoin d’instantanéité et de gratification immédiate.

Un tel cercle vicieux conduit peu à peu les êtres humains à ne plus traverser de périodes d’attente, d’inaction ou de contemplation. Or ces périodes apparentes d’inactivité ont un rôle essentiel pour permettre à nos contenus mentaux de se réorganiser, se relier et se répartir dans les différentes zones de notre mémoire.

Nos pensées sont plus brèves et plus superficielles, souvent interrompues. Nous disposons de moins de temps pour réfléchir et analyser. Ainsi, de nombreuses études montrent que la pression du temps fait obstacle aux tâches intellectuelles et créatrices.

Il est probable que le développement actuel de la méditation constitue une réponse de l’être humain au besoin de réapprendre la lenteur et l’inactivité, de mettre nos cerveaux au repos pour éviter qu’ils ne disjonctent !

En 2014, je vous souhaite donc de prendre soin de vous… et de votre précieux cerveau !

Florence HUNOT

Pour aller plus loin : lire le dossier « Tout va trop vite ! Le cerveau face au manque de temps », Cerveau & Psycho Janvier-février 2014.

 
Florence HUNOT